Quand la cybersécurité inspire le monde de la musique

Quand la musique est hack !

La cybersécurité, thématique longtemps perçue comme complexe et réservée à un public d'initiés, trouve désormais un écho dans les œuvres artistiques mainstream.

Si la sécurité informatique et son imaginaire se sont rapidement imposés dans de nombreuses œuvres cinématographiques de science-fiction, l’industrie musicale a su également en bénéficier. Il n’est donc pas rare d’observer des artistes musicaux explorer des problématiques telles que la surveillance de masse, la collecte de données ou encore la dépendance aux technologies numériques.

Comment la cybersécurité inspire-t-elle l’industrie musicale ? Comment ces concepts techniques se transforment-ils en symboles dans les œuvres culturelles ? Quels messages les créateurs cherchent-ils à transmettre à travers ces thématiques ?

Après le cinéma, notre série d'articles consacrés à l'impact de la cybersécurité dans la pop culture se penche aujourd'hui sur les lyrics les plus explicites en termes de hack et de culture cyber. 

L'émergence de l'électro et le rôle de la French touch

Après « Popcorn » de Hot Butter en 1971, puis Jean-Michel Jarre dans les années 80 et l'émergence simultanée de la musique techno dans des berceaux tels que celui de Détroit, la musique électronique, assistée par ordinateur, a connu une croissance massive dans les années 90. 

Après les vagues successives de la house music et de l'eurodance à la frontière des années 80 et 90,  la sortie du jeu vidéo «  WipeOut » de Psygnosis (et sa B.O. légendaire, de Cold Storage à Prodigy en passant par les Chemical Brothers) et l'apparition simultanée de groupes comme Daft Punk et Air en 1995 ont largement contribué à faire émerger la culture de la musique électronique auprès du très grand public à l'international. 

Au-delà d'un univers de plus en plus connecté aux nouvelles technologies et moyens de production musicaux, la culture cyber et les thèmes liés à la cybersécurité se sont invités petit à petit dans les morceaux, qu'ils soient commerciaux ou plus underground. 

Entre imaginaire et « street cred » : quand la cybersécurité s’invite dans le rap

De nos jours, l’imaginaire de la cybersécurité se retrouve dans les paroles et les clips de nombreux artistes. Lorsqu’elle ne fait pas référence à des faits de cybercriminalité, elle exprime dans les œuvres la quête de confidentialité, d'indépendance, de défiance envers les institutions et envers la manipulation des foules face à une numérisation grandissante des usages.

Le chiffrement des communications dans le titre « PGP » de Booba

« PGP branché, la ne-zo est quadrillée »

Dans la chanson « PGP » ⁽¹⁾, l'artiste Booba fait référence au logiciel de chiffrement appelé « Pretty Good Privacy » (« PGP »). Il s'agit d'un logiciel utilisant un protocole de chiffrement asymétrique développé en 1991 par Phil Zimmermann.

Le mécanisme de chiffrement de PGP repose sur un système de clé publique et de clé privée, permettant de chiffrer des messages afin qu’ils soient exclusivement déchiffrables par le destinataire via sa clé privée. Cette méthode assure une confidentialité renforcée, rendant les communications quasiment inviolables aux interceptions extérieures.

Dans le clip musical, Booba se met en scène en incarnant le personnage iconique de Tony Montana, le trafiquant de drogue du film « Scarface » d'Oliver Stone (1983). En reprenant ce personnage, l'artiste évoque les méthodes de communication utilisées par les narcotrafiquants, qui recourent régulièrement à des outils de chiffrement comme le PGP pour protéger leurs opérations des forces de l’ordre.

La question de l'anonymat avec « Dark Web » de Teejayx6

« From the dark web, I downloaded Tor Browser, then got back in ».

Teejayx6, un artiste de la scène hip-hop de Detroit, fait ici référence au dark web dans son titre éponyme ⁽²⁾, un ensemble de sites et de serveurs non référencés par les moteurs de recherche traditionnels, souvent associé à des activités illégales.

Il évoque l'utilisation du moteur de recherche Tor Browser, conçu pour naviguer de manière anonyme. Contrairement à l’internet classique, le dark web ne peut pas être exploré par les moteurs de recherche traditionnels. Tor Browser masque l’adresse IP de l’utilisateur en acheminant le trafic à travers plusieurs relais chiffré, offrant ainsi une navigation prétendument anonyme.

Dans ses textes, l'artiste raconte son immersion dans le monde des escroqueries en ligne et de la cybercriminalité qui se révèlent des thèmes centraux de ses œuvres. L'artiste s’est notamment fait connaître grâce à ses descriptions très détaillées de méthodes de fraude, comme l’usurpation d’identité ou l'achat d'informations volées sur le dark web. Dans une interview avec Pitchfork ⁽³⁾, un site spécialisé dans la critique de musique indépendante, il explique que son but est de « partager ses connaissances avec ses fans », tout en avouant être conscient de la frontière floue entre ses récits et les implications légales.

Quand les fraudes en lignes rythment les paroles de Punchmade Dev 

« Listen up, I'm finna show y'all how to hit a bank, Just pay attention, this a quick way to jug in any state ». 

Avec son titre « Wire Fraud Tutorial, Punchmade Dev », un rappeur originaire de Caroline du Nord, s'inscrit pleinement dans le scam rap, un sous-genre controversé de la scène musicale hip-hop. Ce style, qui se concentre sur des récits d’escroqueries et de cybercriminalité, illustre les marges floues entre la performance artistique et l’incitation potentielle à des actes illégaux.

Dans ce morceau, Punchmade Dev incarne le rôle d’un professeur, détaillant étape par étape les méthodes pour commettre une fraude bancaire. Il s’agit d’un guide détaillé pour accéder frauduleusement à des comptes bancaires et transférer des fonds, avec des instructions précises et explicites.

Un guide trop explicite puisque la musique a été retirée de la plateforme YouTube pour violation des politiques de contenu, rendant cette œuvre artistique par ce phénomène de rareté d’autant plus légendaire. Punchmade Dev n’en est pas à son coup d’essai. Sa discographie regorge de morceaux tels que « Easy Scams » ⁽⁴⁾ ou « Scam Tag » ⁽⁵⁾, qui renforcent son identité dans ce sous-genre.

La surveillance de masse dans « The Message » de M.I.A.

« Connected to the Google / Connected to the government ».

Dans son titre « The Message » ⁽⁶⁾, M.I.A. évoque la question de la surveillance de masse en soulignant les liens entre les grandes entreprises technologiques et les gouvernements. Le morceau illustre l’idée que les moteurs de recherche collectent et analysent des données personnelles, qui peuvent ensuite être partagées ou utilisées par des institutions étatiques à des fins variées.

Cette phrase reflète une réalité du monde numérique actuel, où les interactions en ligne – des recherches aux habitudes de navigation – génèrent d’importantes quantités de données. Ces données, recueillies par des plateformes privées, sont parfois accessibles à des entités publiques dans le cadre de politiques de sécurité ou de recherche.

La chanson explore les implications des avancées technologiques sur la vie privée et notamment l’impact de la numérisation sur la confidentialité des utilisateurs et le rôle des entreprises technologiques dans cet écosystème.

Au-delà du rap et du hip hop : des niches de musique synth, pop et électro sur la thématique cyber

En creusant un peu sur la toile en marge de certains morceaux commerciaux, on trouve des niches musicales ayant pour thème la cybersécurité, le hack et le piratage informatique. Sur la plateforme musicale dédiée aux artistes indépendants Bandcamp, on trouve ainsi la page de Uwu Underground. Sur leur fil X, ils se présentent comme « Pwnie Award Winning & Nation State funded psyop featuring 6 AI Anime Waifus and a Pup™ singing about APTs, Grifters, & Snake Oil in InfoSec ». Soit des « IA de petites femmes aux traits manga et un petit chien » chantant sur des thèmes IT et cybersécurité ⁽⁵⁾.

Depuis 10 ans, une tendance s'est affirmée de manière croissante sur Youtube : les playlists dites de concentration, pour accompagner les révisions des étudiants ou bien le travail des professionnels du monde de l'IT et de la cyber. Youtube regorge ainsi de playlists thématiques, compilant morceaux de synth pop et de musique ambient qui leurs sont dédiées, pour les accompagner pendant leurs longues heures de coding, de veille et de détection des cyberattaques ⁽⁶⁾.

La combinaison d'Internet, des réseaux sociaux et de l'IA contribue à produit et diffuser des oeuvres reflétant cette culture connectée qui ne cesse de grandir depuis 30 ans. 

L'essentiel de la cybersécurité dans la musique

Entre imaginaire, fascination, crainte et culture cyber en tension depuis 30 ans, la cybersécurité occupe une place de plus en plus importante dans nos réflexions contemporaines.

Qu’il s’agisse de dénoncer la surveillance de masse, ou de jouer avec les limites de l’illégalité, les artistes transforment des concepts informatiques en récits accessibles et pertinents. Par des approches engagées, provocantes, référentielles et/ou purement ludiques, leurs œuvres mettent en lumière les tensions entre contrôle technologique et liberté individuelle, faisant de la cybersécurité un sujet contemporain permettant d’engager une plus large audience.

Cette tendance devrait s’amplifier avec l’évolution rapide de l’intelligence artificielle, qui soulève des enjeux, notamment en matière de désinformation, d’usurpation d’identité... et de création musicale ! 

Sources et notes