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Devenir formateur en cybersécurité

Jérôme Mauvais, consultant sécurité, apprend à nos experts à devenir formateurs. Interview.

Quelles sont les spécificités des formations à la cybersécurité ?

La cybersécurité est un domaine très vaste qui regroupe de nombreux métiers et encore plus de connaissances. Une formation à la cybersécurité peut ainsi prendre plusieurs formes. Elle peut, par exemple, être centrée sur la règlementation et permettre à une entreprise de connaître ses obligations. Ce peut aussi être technique et favoriser la montée en compétences. La spécificité des connaissances transmises dépend en réalité du profil de la personne qui forme : il faut souvent qu’elle soit en capacité de couvrir d’autres domaines que ceux liés au sujet initial. Une formation technique avec des RSSI, par exemple, conduira quasi-systématiquement à des questions d’ordre juridique sur ce qu’il est possible ou non de faire, sur les conséquences d’un non-respect de la loi, etc.

Comment passe-t-on d’expert en cybersécurité à formateur ?

Être formateur ne s’improvise pas. Les meilleur·e·s expert·e·s ne sont pas forcément à même de transmettre leurs savoirs. À l’inverse, de bons formateurs ne sont pas toujours d’excellents techniciens. Notre approche est la suivante : nous identifions, au sein de nos équipes, des personnes ayant une réelle appétence pour la transmission de savoirs. Celles-ci sont ensuite formées « à savoir former », puis accompagnées lors de leurs premiers pas en salle.

Pour former des adultes, que doit-on savoir ?

On entend souvent qu’un formateur doit être pédagogue. En réalité, la pédagogie s’adresse aux enfants. Former un public adulte, c’est être andragogue. Les adultes et les enfants ne pensent pas de la même manière. Les adultes ont besoin de passer par une étape d’acceptation de l’information. Leur cadre de référence est différent. Former des adultes, c’est leur transmettre assez d’éléments pour les amener à décider d’emprunter le chemin que nous sommes en train de leur montrer.

Quelle posture doit-on adopter en tant que formateur ?

Un formateur n’est pas un professeur. C’est un accompagnateur, un coach. Il ne doit pas uniquement être « le sachant ». La posture idéale serait celle-ci : présenter les éléments de compréhension et favoriser la construction de schémas de pensée propres à chaque apprenant. Le pire serait de garder une posture d’expert, de s’enfermer dans une logorrhée sans fin, sans échanges, sans retours, sans débats.

Comment construire des formations « courtes » mais tout de même pertinentes ?

Cela dépend autant du contenu que de la façon de le présenter : il est possible de concevoir une action de formation en e-learning, qui ciblera un point spécifique, sur un timing très court. Il est également possible d’imaginer des actions de formation en présentiel, sur un temps un peu plus long, qui iront à l’essentiel sur de nombreux sujets ou se concentreront sur un sujet spécifique. Tout est une question de curseur entre le niveau de détails à donner et le nombre de sujets à aborder. Le plus important est de ne pas faire de formation « au rabais ». Il faut adapter le dispositif de formation au client et donc l’impliquer en amont.

Quelles sont les erreurs qu’un formateur doit éviter à ses débuts ?

Elles peuvent être nombreuses : vouloir avancer à tout prix sans tenir compte du rythme de son groupe ou, à l’inverse, s’éloigner des objectifs pour échanger davantage. La gestion du temps de formation est l’une des choses les plus difficiles à maîtriser. Je pourrais citer également le fait de ne pas mettre ses problèmes personnels au placard au début de la formation, ou de se plaindre d’un retard… en prenant encore plus de retard. Mais si j’avais une erreur à souligner parmi toutes, elle serait davantage liée à la communication : dire que quelque chose est « d’une simplicité absolue », qu’« un enfant de trois ans pourrait le faire » ou asséner le légendaire « ce n’est pas bien compliqué » peut s’avérer humiliant pour quelqu’un qui ne comprend pas un concept. Je parle en connaissance de cause, j’ai commencé à former des adultes il y a environ 16 ans, sans avoir été formé moi-même. Des erreurs, j’en ai fait ! C’est aussi ce que je transmets aux experts qui veulent devenir formateur : transmettre s’apprend.

Comment gérer les différences de niveau au sein d’un groupe ?

En ce qui me concerne, ces différentes sont identifiées avant même la conception de la formation, avec mon client. Je l’interroge, récupère le niveau des apprenants identifiés, afin d’adapter mon support pour que tout le monde puisse suivre. Vient ensuite la phase de cours, où j’essaye de créer de l’échange : les personnes qui savent expliquent, avec leurs mots, à celles qui éprouvent des difficultés.  Si besoin, je complète. Enfin, je fais fréquemment appel aux analogies pour que les participants puissent visualiser et assimiler l’information grâce à des concepts et des notions qui leur sont propres.

Comment réagir face à des publics difficiles ?

C’est une question pour laquelle chaque personne aura une réponse différente, la notion de public difficile étant personnelle. Certains éprouveront des difficultés avec des personnes au profil dominant, d’autres avec les profils peu impliqués ou au contraire, trop curieux, qui posent beaucoup de questions. L’important reste de gérer le temps de parole de chacun, donner plus d’espace d’expression à l’un, en donner un peu moins à l’autre, toujours cadrer les interactions pour que tout le monde trouve sa place. J’ajouterai, dans certaines situations conflictuelles, que la distanciation est toujours une bonne chose : une personne qui s’énerve ne s’énerve que très rarement contre vous. Elle s’énervera contre un thème, un contenu, contre un point qui peut l’effrayer dans la mise en application des savoirs… le tout est de pouvoir identifier la cause de ce blocage, pour la traiter.

Comment gérer un public qui travaille durant le temps de formation ?

C’est là que la différence entre pédagogie et andragogie prend son sens. Avec une population d’enfants, on édictera des règles, des interdits … Avec une population d’adultes, il faut faire prendre conscience de l’impact d’une pratique, expliquer qu’ils se pénalisent eux-mêmes, qu’ils perdent du temps et ratent des informations. Ils restent bien sûr libres de continuer à répondre à leurs e-mails par exemple. L’interdit n’a pas vraiment lieu d’être et est souvent contreproductif avec des adultes.

Comment favoriser le maintien en compétences à la suite d’une formation ?

La pratique, la pratique et encore la pratique ! Les savoirs, tant qu’ils ne sont pas appliqués au quotidien, s’oublient. L’idée est donc de les ancrer dans une forme de pratique régulière, pour que nos apprenants n’aient plus besoin de penser à faire de telle ou telle façon, mais que cela devienne naturel.

Qu’est-ce qui est le plus appréciable dans le fait de former ?

La réponse est simple : la transmission de savoirs. Je considère les connaissances comme des biens précieux qui doivent être partagés avec tous. Peu de choses sont aussi gratifiantes qu’une formation à mes yeux. Voir une population évoluer, prendre conscience d’une notion, changer une pratique et savoir que j’ai contribué à ces changements positifs, c’est une grande fierté pour moi. La formation est un lieu d’échanges, tant pour le formateur que pour les participants. Tout le monde en sort plus riche ; c’est un ensemble de rencontres, d’expériences, de vécus, qui permettent de réfléchir en dehors de son cadre de référence.

Quels conseils donner à un futur formateur qui nous lirait ?

Vous aurez le trac. Vous l’aurez à chaque début de session. 16 ans après ma première formation, j’ai toujours le même stress…mais je sais désormais le reconnaître et le gérer. J’aurais donc deux conseils : ayez confiance en vous. Second conseil : n’oubliez jamais vos participants. Vous êtes là pour eux, la formation n’est pas un spectacle pour vous mettre en avant. Vous êtes à leur service. Remettez-vous en question régulièrement, interrogez vos façons de faire, vos pratiques, vos postures et vos mots. C’est comme cela que l’on apprend.