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Parcours atypique : des casinos au cyberSOC

Après une première carrière de croupière de casino, Sarah Ruget s’est reconvertie dans le développement informatique, puis la cybersécurité. Un parcours qui n’a pas été de tout repos, mais qu’elle a su mener grâce à une persévérance à toute épreuve.

Le coup de foudre

C’est dans l’ambiance feutrée des casinos que Sarah a commencé sa vie professionnelle. A 18 ans à peine, son baccalauréat obtenu avec mention très bien ainsi qu’une inscription dans une faculté d’Histoire en poche, rien ne destinait la jeune femme à travailler si jeune. « J’ai été embauchée en tant que croupière pour un été. Au bout de quelques jours déjà, j’étais tombée amoureuse du métier », se souvient-elle.

Elle entame péniblement ses cours en septembre, et un week-end, effectue un remplacement dans un casino. L’essai se transforme en offre d’emploi. Après une semaine de réflexion, elle abandonne les bancs de la fac, et lance sa carrière.

La vie de casino

A quoi ressemble le quotidien d’une croupière ? Pragmatique, Sarah répond : « C’est un travail qui se fait de nuit, généralement de 20 heures à 4h du matin, les week-end et les jours fériés ». Au casino, les rotations sont fréquentes, « toutes les vingt à quarante minutes », détaille Sarah. Le plus souvent, sur deux jeux phare : la roulette anglaise et le blackjack. C’est ce dernier qu’elle préfère. « Encore aujourd’hui, j’adore ce jeu. Il faut être très rapide dans la distribution des cartes et savoir compter très vite de tête. Les croupiers doivent pouvoir additionner les chiffres quasi-instantanément », explique-t-elle.

Peu à peu, le poker fait son arrivée en France. Sarah ajoute cette corde à son arc. « L’ambiance autour d’une table de poker est beaucoup plus décontractée et familiale. C’est un peu déstabilisant au début, car nous avons pour consigne de garder une grande distance face à la clientèle, voire même dégager une certaine froideur », précise Sarah. Les croupiers sont en effet tenus de respecter des règles extrêmement strictes, comme l’explique la jeune femme : « C’est un aspect du métier que les clients ne voient pas, mais un casino est régi comme une caserne militaire : tout est encadré. Nous devons respecter un nombre conséquent de procédures. Par exemple, nous avons interdiction d’avoir des poches ou des manches trop longues ». Sarah développe alors une grande rigueur professionnelle, un sens aigu de la clientèle, mais aussi un grand sens de la concentration et une résistance réelle à la fatigue. « Nous travaillons parfois douze heures d’affilée, avec très peu de pauses. Croupière, c’est un métier exigeant à tous les niveaux », dit-elle.

L’indépendance

Après cinq ans en poste dans différents casinos, Sarah se lance en indépendante, sur les tournois de poker. « A l’époque, il y avait beaucoup de clients, mais peu de croupiers. Nous étions une quarantaine en France, toujours les mêmes, sur tous les tournois », explique-t-elle. Elle voyage beaucoup : Belgique, Espagne, Allemagne, Maroc… « Sur une table de poker, le croupier est seul, contrairement aux autres jeux où nous sommes trois, dont un supérieur hiérarchique. J’ai appris à diriger une table, faire respecter les règles. Au poker, presque 98% des joueurs sont des hommes. J’ai su m’imposer et m’adapter à chaque caractère »,se rappelle-t-elle.

Après presque dix ans de carrière, Sarah nourrit un projet personnel qui va la contraindre à changer de métier : celui d’acheter un appartement. « J’étais indépendante et même si je gagnais très bien ma vie, mon dossier ne passait pas auprès des banques. Il aurait fallu que je retrouve un CDI dans un casino. Cela voulait dire perdre en revenus, en liberté et recommencer à travailler exclusivement de nuit. J’ai préféré changer de métier », se souvient Sarah.

Le temps des doutes

La flamme des débuts éteinte, vient l’heure des questionnements. Partir, oui. Mais pour quoi faire ? Certains de ses collègues passionnés d’informatique lui reviennent en mémoire. « Ils m’ont filé le virus. J’ai voulu apprendre à me servir au mieux d’un ordinateur. Puis, une fois la compétence acquise, je me suis interrogée sur ce qu’il y avait derrière l’écran, comment ça marchait. J’ai demandé à l’un de mes amis de me prêter des livres pour me former et ce dernier m’a dit “Va à l’école“. La réflexion était lancée », raconte Sarah.

Si ses débuts dans les casinos se sont faits avec une facilité déconcertante, l’insertion dans le monde informatique sera plus difficile. Sarah a alors 27 ans. Un âge qui va s’avérer complexe pour sa reprise d’études.

La croix et la bannière

Sarah décide de se lancer dans un cursus de développement informatique. A l’époque, elle vit à Antibes, non loin de Sophia Antipolis, aussi connue comme la Silicon Valley française, peuplée de développeurs. C’est décidé, elle sera l’une des leurs.

Alors qu’elle se renseigne sur les cursus à suivre, son âge lui ferme la porte de la formation initiale : à plus de 26 ans, elle n’est pas éligible à la sécurité sociale étudiante et de fait, ne pourra s’inscrire. C’est un coup dur pour la jeune femme, qui poursuit ses recherches, cette fois-ci en formation continue. « On me poussait vers les ressources humaines, le commerce… J’ai dû me battre pour que mon choix de réorientation soit pris au sérieux », explique-t-elle. Alors qu’elle se dirige vers un DUT, elle se rend compte qu’elle doit déjà avoir validé un an de diplôme pour y prétendre…

« Je n’avais en fait que deux choix : un BTS dans une école de gestion et de commerce ou dans une école d’ingénierie informatique à Sophia Antipolis. J’ai opté pour la seconde option et là encore, j’ai fait face à des réticences. J’avais un bac ES et non S, alors je n’étais pas éligible. J’ai argumenté, demandé des entretiens et j’ai fini par obtenir gain de cause. Enfin, je pouvais commencer à me former », raconte-t-elle, avant de préciser : « Il faut que les jeunes soient informés : reprendre ses études en France après 26 ans peut s’avérer extrêmement complexe ».

La persévérance

Les coups durs ne sont pas terminés. Pour financer sa reconversion, il est impératif que Sarah puisse bénéficier d’une alternance. Sans contrat dans une entreprise, elle ne peut entamer sa formation. « A 27 ans, je ne pouvais plus être apprentie et toute société qui m’acceptait en tant qu’alternante était tenue légalement de me rémunérer au niveau du SMIC. C’était un premier frein, mais il y en avait un second, et de taille : je ne savais pas du tout programmer », sourit-elle.

Sur 150 envois de CV, Sarah ne décroche que trois réponses : une négative, une « très vague » mais surtout un oui. « C’était une petite PME dont le patron avait travaillé vingt ans aux Etats-Unis. Il avait gardé la mentalité américaine : pour lui, la motivation primait sur les compétences », se souvient-elle. Elle est prise à l’essai pendant trois mois. A l’issue de ceux-ci, elle pourra prétendre à une alternance d’un an. Au même moment, elle reçoit une offre d’un casino. « J’ai renoncé à un contrat de 30 000 euros pour une alternance qui n’était pas certaine. Pour être motivée, j’étais motivée ! », plaisante-t-elle.

Ses débuts dans l’IT

Le test est concluant, la reconversion de Sarah est enfin lancée ! La jeune femme commence un BTS Services informatiques aux organisations, solutions logicielles et applications métiers, qu’elle obtient en deux ans. Elle poursuit ensuite avec un Bachelor Software Development Specialist. « Pour devenir développeuse, il faut obtenir a minima un bac +5. Le bachelor m’a permis d’obtenir un niveau licence pour ensuite viser un master ».

A 30 ans, elle sort major de sa promo, puis poursuit, comme prévu, avec un master Expert en développement logiciel. « Plus j’évoluais dans l’informatique, plus je m’intéressais à la sécurité. En développement, on apprend à construire, mais pas à protéger ni à défendre. Ça m’a interpellée, et j’ai voulu apprendre », explique-t-elle.

La cybersécurité

Son bac + 5 en poche, à 32 ans, elle entre à l’Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Bretagne-Sud (ENSIBS). Elle rejoint Orange Cyberdefense en alternance pour deux ans. La première année, elle est en charge d’évaluer les failles de sécurité au sein des codes source des programmations des clients. « Pour cela, nous sommes aidés d’un logiciel. Il fournit une analyse de 200 pages, pratiquement illisible pour un œil non expert. Pour les rendre accessibles pour nos clients, il nous fallait optimiser ce rapport. J’ai été mandatée pour créer un logiciel qui permettait de le faire », détaille-t-elle. Elle propose ensuite aux clients des pistes pour corriger le code et le rendre sécuritaire.

Pour sa deuxième année, Sarah se retrouve à la tête d’une petite équipe de trois stagiaires. Leur mission ? Créer une application mobile qui permette aux employés d’une entreprise de recevoir des informations importantes. « Certains mails sont jetés à la corbeille sans même être lus. L’idée est de les rendre visibles et attractifs au sein d’une application. Nous devons aussi la sécuriser », explique Sarah. Ce qu’elle aime le plus chez Orange Cyberdefense ? « La bonne ambiance et son équipe », répond-elle. Au quotidien, elle reste accompagnée par son manager. Sarah détaille : « Il est très impliqué dans le projet, supervise nos avancées et nous aide quand nous sommes bloqués ».

L’avenir

A la fin de l’année scolaire, Sarah sera diplômée. Son avenir ? Elle le voit dans la gestion de cybercrises. Orange Cyberdefense lui a proposé un poste au sein de l’un de ses cyberSOC (Security Operation Center), qu’elle commence en septembre. Après sept ans d’étude, la jeune femme va enfin pouvoir lancer son projet d’achat d’appartement.